• Pour un ballon de football en mousse

     

    « Que la vie est dure à ceux qui ignorent la mollesse » (Anonyme)

     

    Notre époque est celle du cuir, de la carapace, du blindage. Protégés de tout, confiants en rien, nous nous cuirassons comme nous pouvons contre le doute et la fragilité. Mais le mal du dehors n'est rien contre l'incertitude qui nous ronge de l'intérieur.

    Le temps est venu pour les peuples de fendre l'armure et de troquer la férocité du ballon de football en cuir contre la mollesse subtile du ballon de football en mousse.

    On trouve plus d'avantages au ballon en mousse que de facettes au stroboscope d'une boîte de nuit de province, par exemple le Copacabana de la zone industrielle d'Amiens, ou encore l'Excelsior près de Maubeuge.

    Essayez. Chassez vos préjugés et essayez. Dès le premier contact entre votre pied et le ballon en mousse, vous percevrez la différence*. Épousant votre anatomie, vous caressant le front lorsque vous le jouez de la tête, le ballon de football en mousse vous révélera d'un seul coup le centre mou du monde. Cédant à la juste mesure de la force que vous lui imprimez, le ballon en mousse est une école de tempérance et d'équilibre. Et que dire du bruit grassement humide avec lequel un ballon de mousse vient lécher le poteau ou la barre transversale lorsqu'il est imbibé par la pluie ?

    À l'inverse, les jours chauds, vous remercierez les cieux d'avoir mis à votre disposition cette boule jaune et ronde, avec laquelle on peut si élégamment s'éponger la sueur du front. De même, lors des arrêts de jeu, ou en cas de crampes ou de simple fatigue, existe-t-il soulagement plus agréable pour un footballeur que de s'asseoir quelques minutes sur le moelleux coussin dont le ballon en mousse peut faire office ? Seule ombre au tableau : il n'y a pas la place pour deux. On a ainsi vu des parties se prolonger bien au-delà des quatre-vingt-dix minutes réglementaires, le temps que les vingt-deux joueurs bénéficient tous de leur petit passage sur le trône du ballon mou et rond.

    Mais ne vous fiez pas aux apparences : le jeu avec un ballon en mousse ne prête pas uniquement à la mollesse et à l'indolence. Ainsi, on a déjà vu plus d'une fois un joueur, dans un accès de colère inopiné et impossible à réprimer, s'acharner sur un ballon en mousse, le lacérer de ses crampons, le déchirer en mille miettes, qui retombent en pluie d'or sur la pelouse : je joue, mais si je veux, je peux détruire aussi. Heureusement de telles fulgurances, par lesquelles l'homme, et plus particulièrement l'homo futbalisticus, affirme de temps à autre sa liberté, ne mettent pas en péril le jeu lui-même : il suffit d'ordinaire aux joueurs d'aller à la recherche du moussier le plus proche, où ils pourront cueillir, pour peu que la saison s'y prête, d'autres ballons en abondance.

    Fini le ridicule dont est victime le footballeur qui vient de « marcher sur le ballon », raté technique qui lui vaut en général les huées du public et les remarques acerbes des commentateurs. Impossible de trébucher ou de se blesser avec un ballon en mousse : au contraire, écraser un ballon en mousse sous vos crampons stimule jusqu'à vingt-deux zones distinctes de votre plante de pied. C'est la fameuse mousso-pédothérapie développée dès les années vingt par le célèbre physiologiste australien Richard D. Fleece. Ne gardez néanmoins pas trop longtemps le ballon sous votre pied, on vous accuserait d'antijeu et d'égoïsme pédothérapique.

    Autre avantage non négligeable du ballon en mousse : lors des coups francs, les joueurs formant le mur n'ont plus besoin de se protéger les parties intimes. Il en résultera des pénis - et donc des joueurs - plus insouciants, plus vaillants,  plus guillerets.

    Pour ceux que le passage brutal du ballon en cuir au ballon en mousse effraie, soyez rassurés : des solutions de transition existent. On trouve sur le marché des housses en cuir amovibles, qu'on peut enfiler ou retirer à loisir. Pour les adeptes du S/M-soccer pur et dur, il existe même des housses en cuir à picots métalliques, pour un plaisir extrême. Attention toutefois aux têtes dans cette configuration.

    En résumé, le ballon en mousse, version moderne et molle du boulet de canon, allégorie du sein rond et tendre des femmes de joueurs, apportera au football ce qui lui manque encore : la force de la fragilité, l'audace dans la douceur, bref : un supplément d'humanité.

    Enfin - et c'est un argument non négligeable - Thierry Henry ne risquera plus de se blesser les doigts dans la surface de réparation.

    Monsieur Daniel

     

    *Choisissez bien votre ballon en mousse. Sa consistance idéale n'est ni trop molle, ni trop ferme. Pour ce qui est de sa taille, observez cette règle simple : en tenant le ballon en mousse à bout de bras au-dessus de votre tête, entre vous et le ciel, vers quatorze heures un jour d'été par beau temps dans l'hémisphère nord, l'anneau solaire ne doit dépasser la circonférence du ballon que de 2 à 3 mm au maximum. Si la marge est supérieure, ou si à l'inverse votre ballon en mousse obscurcit totalement le soleil, jetez-le, il s'agit probablement d'une contrefaçon chinoise ou d'un médecine-ball lépreux.

    Plusieurs modèles standardisés de ballons en mousse sont disponibles sur le marché : si vous êtes adeptes d'un toucher tendre, essayez la mousse « Tafa », tout en douceur orientale, tel un loukoum. À l'inverse, il existe la mousse « Orgski », très ferme, importée de Russie. La mousse « Haka », d'origine turco-néo-zélandaise, constitue sans doute un bon compromis. Entouré d'une épaisse couche de béchamel en début de partie, ce ballon à la consistance semi-molle rapetisse en cours de match, à mesure des contacts, mais aussi de l'appétit des joueurs.

     


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