• Dans la salle du restaurant, un type qui gagne bien sa vie, pousse un hurlement content. L'équipe de l'Uruguay vient de marquer un but. C'est la demie finale de la coupe du monde. J'ignore contre qui joue l'équipe de l'Uruguay, je ne suis pas beaucoup cette coupe du monde depuis l'élimination tragi-comique de l'équipe de France. Installés avec des amis dans un coin où il n'y a pas de téléviseur, je glane des infos sur le match grâce à lui puis au fur et à mesure des plats, des alcools et des conversations, j'oublie. Lorsque nous sortons du restaurant, il fait encore jour et chaud. Habillés légers, les gens colonisent les terrasses, parlant, mangeant, buvant. Beaucoup d'autres marchent, grisés par ce dehors clément. Comme je ne suis pas loin de chez moi, je décide de rentrer à pied. Je prends congés de mes amis, les laissant à leurs véhicules à quatre roues. Bien qu'ayant bien bu et bien mangé, je me sens léger. Je remonte un grand boulevard puis bifurque à droite, dans une rue à taille de promeneur, longue et animée à certaines de ses boursouflures. Au niveau d'une épicerie, je surprends le commerçant en train de fixer avec un air crispé un écran lumineux. Le match de football n'est pas terminé. Je reviens sur mes pas. « Pardon, monsieur, c'est quoi le score ? ». L'homme met du temps à réaliser que j'existe, je ne suis pas entré dans sa boutique et je n'ai même pas daigné prendre un des fruits ou légumes exposés à l'extérieur, comment voulez-vous que le petit commerce survive avec des types comme moi ?... « Y a deux-un » me répond lugubrement le commerçant. « Pour l'Uruguay ? ». L'homme secoue la tête. Je poursuis mon chemin. A côté d'un restau, deux enfants assis par terre me demandent de l'argent par jeu. Je leur réponds que je n'en ai pas mais qu'à la place je peux leur faire un dessin. Tandis que le garçon réfléchit à ma proposition, la petite fille refuse catégoriquement. Je hausse les épaules « Tant pis et au revoir ! ». « Au revoir » me répondent en chœur les enfants tandis que leurs parents installés à une table du restaurant m'observent d'un air suspicieux. Je longe plusieurs boutiques ouvertes dans lesquelles les employés ou gens du quartier conversent. Au bout de la rue, un attroupement. J'accélère le pas. Dans ce café, ils ont mis tant d'écrans qu'on se croirait dans un cyber. Le match en est à sa quatre vingt dixième minute. Une minute de temps additionnelle. Les gens soutiennent l'Uruguay qui est mené trois-deux par... La Hollande ! Ultime action dans la surface de réparation adverse. Tir de la dernière chance d'un attaquant Uruguayen à bout de force. A côté ! Soupir général. Les Hollandais lèvent les bras au ciel et se congratulent. Malgré la déception, les gens trinquent entre eux. Je reprends ma route chaleureuse...

    Gérald Puzzle


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  • La première mi-temps de France-Espagne est entamée. J'entre chez Mounir. Dans son bar, les habituelles gueules fracasses me dévisagent. Je sers la main au patron qui me demande si ça va. « Ca va » je réponds « Et vous ? ». « Fatigué » soupire t-il en remplissant mon verre de bière. A part l'écran télé qui projette de la lumière, peu d'éclairages. Ce troquet a l'air au bout de la route. Les vies éreintées s'y échouent avec leurs blessures. Je vais à ma place comme un élève discipliné. Je m'appelle Gérald Puzzle. J'ai banni la télévision depuis belle lurette. Alors comme j'aime regarder de temps en temps le foot, je vais dans ce genre d'endroit. Je m'y sens bien, comme chez moi. Je mate le foot en dégustant ma bière. Et quand j'ai fini, je me barre. Ou j'en reprends une autre. Ca dépend.

    Au moment où je m'installe, l'équipe de France vient de prendre un but. A cause de Thierry Henry. Je le comprends parce que l'un des consommateurs s'est exclamé : « C'est la faute à Thierry Henry ! ». Et les autres ont approuvé en chœur. Lorsque l'action repassera au ralenti, les mêmes s'énerveront de plus bel en voyant Thierry Henry perdre un ballon dans le milieu terrain adverse alors que la France attaquait. Je me dis que si l'équipe de France perd, je sais qui va morfler. L'humanité a toujours besoin d'un bouc émissaire - façon de donner un nom à ses maux et de se défouler. Ce soir, ce sera Thierry Henry. Et j'avoue, ça me plait. Ce type là donne une telle image de suffisance. Et il a tellement réussi par le passé qu'il est légitime et agréable qu'il flanche. « Pas trop tôt » je pense. Donc, va pour Thierry Henry. Ca me convient. Je lance : « Henry, il a plus rien à foutre en équipe de France ». Près de moi, un type acquiesce. Je suis content. Nouvelle attaque française et comme si Henry avait entendu mes mots et avait été touché par eux, l'homme foire son centre. Bronca dans le bar : « Quelle merde ! » ; « Mais virez-le !» ; « Tu parles, c'est la gonzesse à Domenech »...

    Au comptoir, un grand Belge rigole comme une baleine avec l'ami d'un soir. Ils doivent en être à leur cinquième ou sixième tournée. Leurs rires gras accompagnent le deuxième but de Sergio Ramos. Je resterai jusqu'au remplacement de Thierry Henry sous les sifflets. Les gagnants ne le sont qu'un temps.

    Gérald Puzzle


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  • Il a une tête joviale. Tout de suite ça saute aux yeux que c'est une bonne nature, un bon gars. A 51 ans, il a la pêche et rit à toutes les occasions. Il vient d'apporter du bois qu'il a coupé sous la pluie et dans le froid. Pour arrondir ses fins de mois, avoue t-il avec le sourire et un petit clin d'œil chafouin. A la télé passe une émission de foot. Karim Benzema accompagné du président Aulas visitent les infrastructures du stade Santiago Bernabeu afin d'officialiser son transfert au Real Madrid. La veste du jeune joueur brille intensément. A croire qu'il l'a achetée dans une bijouterie. Ses autres vêtements sont dans la même veine. Ils puent le fric, la réussite sociale fulgurante,  ostentatoire et démesurée. Assis sur une chaise et apéro à la main, le coupeur de bois a un grand sourire aux lèvres. Il porte un vieux bleu de travail et des chaussures de sécurité pour ne pas se blesser lorsqu'il utilise la tronçonneuse. La pluie et le froid qui ont perduré pendant ces deux dernières semaines ne l'ont pas abattu. Il a coupé du bois en forêt sans discontinuer. Comme les temps sont durs. Et comme le salaire qu'il gagne à la chaudronnerie ne suffit pas : 1800 euros par mois, c'est pas bézef. A la télé, Benzema rutilant comme une merco neuve pénètre dans une nouvelle salle : Il y a un sauna, des jacuzzis qui brillent outrageusement. On se croirait dans un clip de rappeurs millionnaires sans les jolies nénettes à moitié nues (fortement suggérées néanmoins). La coupe du footballeur semble du millénaire suivant. Connaîtrait-il des coiffeurs Vulcains ? Et quel prix a-t-il dû payer pour paraître différent, d'un autre monde, au-dessus ? L'entourant, le président Aulas et le président Perez sourient avec l'air ravi de grands papas qui regardent leurs petits enfants ouvrir les cadeaux de Noël. Benzema saisit son futur maillot et le montre aux caméras. Il est heureux. Toujours avec le sourire, le coupeur de bois se demande s'il va garder son emploi jusqu'à la retraite qui recule inexorablement. La chaudronnerie fonctionne mal. Ils ont dû licencier... Il verra... Deux, trois blagues puis il finit d'un trait son apéro. Ce n'est pas tout, mais il a encore du bois à couper. Sa main robuste se tend. Plusieurs pubs braillardes visant la population masculine se succèdent sur le petit écran.

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  • C'est l'heure. Je m'arrête au premier troquet où il y a une télé. Je m'appelle Gérald Puzzle, j'aime le foot à petites doses, je regarde des morceaux de matchs, lis des bouts d'articles sur le sujet, ça me suffit ces petits grignotages. Aujourd'hui c'est le tirage au sort de la coupe du monde. Je le sais, tous les mâles que je fréquente en parlent. Alors que je suis dans la rue, je devine que le tirage a commencé - plus aucun mâle n'arpente le trottoir. Je vois un écran allumé à l'intérieur d'un rade alors j'entre - « un demi s'il vous plait ». Etonnamment, la salle est presque vide. Il y a un vieux poivrot et deux autres types qui se plaignent de leur abonnement SFR - Maintenant l'expression « trouver une aiguille dans une meule de foin » a été remplacée par « trouver une personne contente de son abonnement téléphonique », ce monde est vraiment le grand bazar de l'arnaque. Puis fixant l'écran, je comprends le peu de monde. La télé diffuse une chaîne qui n'a pas eu les moyens de transmettre le tirage en direct. Ils sont quatre ou cinq animateurs à jacter sur l'événement tandis qu'en incrustation on voit vaguement une blondasse en train de palper des boules en plastoc (ne me faites pas écrire ce que vous pensez fortement). A côté de moi, le poivrot s'est trouvé un interlocuteur qui n'y connaît rien au foot. Il lui explique tout de A à Z, Jules Rimet, les coupes du monde précédentes, l'historique des mains, etc, etc... Je déguste mon demi. Les animateurs sont pénibles. Ils jactent nerveusement comme s'ils nous vendaient du dentifrice - Le tirage en arrière plan est indéchiffrable - « Qui est-ce pour le Groupe A ? » demande le vieux poivrot qui veut noter les équipes sur le dos d'un papier de loto. « Et le groupe B ? » ajoute t-il « Putain on comprend rien ». J'acquiesce. Effectivement, on comprend que de chie. Les types s'excitent dans des palabres stériles. Dès qu'une équipe est sortie du chapeau - l'un des animateurs - beau gosse - fait un petit laïus pénible dessus - Ah oui, l'Argentine de Maradona, qualifiée in extremis pour la zone Amérique du sud, qui... On se regarde avec le poivrot, consternés. Parfois on aimerait tant que les gens de la télé puissent entendre nos « Vos gueules ! ». J'engloutis en deux gorgées le reste de mon demi puis m'en vais à tâtons comme un rat de bibliothèque dont la date butoir de prêt a expiré depuis belle lurette. Bien, dans le groupe A, il y a l'Afrique du Sud et dans le B, l'Argentine. C'est maigre, mais au moins je n'ai plus la tête enflée de leur hystérie. J'hume l'air frai de la nuit tandis qu'une bagnole trace en râlant contre le temps. Bah, je saurai bien assez tôt la composition des différentes poules. Rien ne presse, en fait.

    Gérald Puzzle


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  • Chez moi, je n'ai pas la télé. J'exècre la télé. Par contre, j'aime bien le foot. Enfin à petites doses. Je ne regarde jamais un match de football en entier, ça me lasse vite. Non, un morceau de match me suffit. Pris à n'importe quel moment de la partie. Il peut être au début, au cours ou à la fin, je m'en fiche. Dans ce morceau qui peut se résumer à une action de jeu ou à un échange verbal entre joueurs, je cherche à saisir l'essence du match. Et si j'y parviens ou crois y parvenir, je me barre, fier et satisfait comme l'auteur d'une passe décisive.

    Ce soir là, j'avais donc décidé d'aller voir Marseille-Bordeaux chez Mounir, le troquet en face de chez moi. Depuis quatre jours, le quotidien Vive le Sport nous rabattait les oreilles avec ce duel au sommet de la quatrième journée de championnat qui promettait. Les joueurs des deux équipes avaient fait des tas de déclarations, on avait évalué les forces et faiblesses de chacune des formations, soupesé leurs poids en euros (budget Marseille/budget Bordeaux), rappelé les résultats de leurs précédentes confrontations, comparé leurs schémas tactiques, etc, etc...

    Bref, on avait posé le décor d'une rencontre au sommet explosive.

    Etonnamment, il n'y avait pas grand monde chez Mounir. Sans doute parce que c'était encore les vacances. Sur l'écran fixé au plafond, le match avait commencé depuis dix minutes. Vêtu du maillot de Marseille, Mounir me salua puis me servit un café sans que j'ouvre la bouche. Lorgnage sur le score : 0-0. Lorgnage sur la salle. On est à tout casser huit. Que des mecs. Je suppute un supporter de Bordeaux assis derrière moi. A la terrasse, deux nanas conversent, indifférentes à la joute footballistique. L'une d'elle tient en laisse un roquet noir qui jappe lorsque passe le tram. Les joueurs marseillais ont l'air ultra motivés sur le terrain. Ils courent comme des fous vers tous les ballons. Ca va vite. Très vite. Ca me rendrait presque coupable de ressentir de la fatigue. Ils portent sur leur maillot les initiales de Robert Louis Dreyfus, feu leur président. S'il est mort d'une crise cardiaque je trouve l'hommage douteux vu leur activité frénétique. Faute sur Cheyrou à la 13ème minute, l'arbitre siffle un coup franc près de la surface de réparation. Pourparlers entre joueurs marseillais pour élaborer une tactique (attention, réfléchir sur un coup franc mobilise autant de neurones que pour rédiger une dissertation). Dans l'étrange silence du troquet, un gamin dit : « Ca c'est pour Taiwo ! ». Cissé tire le coup franc que Valbuena reprend dans la surface, manquant de peu le but. Mounir se prend la tête à deux mains. Je trempe mes lèvres dans le café. Il est bon, pas trop chaud. A la 16ème minute, Brandao est signalé hors-jeu (ce mec là est le seul attaquant dont je me dis qu'il est taillé pour le hors-jeu). A part les commentateurs sportifs, personne ne parle. Il n'y a même pas un rigolo pour se foutre des conneries qu'ils débitent. Un silence éreinté persiste. Je bois une gorgée de café puis soupire. Même Mounir ne soutient pas à fond son équipe. Arrive la 27ème minute. Brandao foire une tête plongeante immanquable dans la surface de réparation adverse. On repasse l'action au ralenti. Corps tendu/tordu du grand avant-centre dont la tête frôle la balle qui fuse à Pétaouschnok. Dans le bar, personne n'a vibré. Seul le supporter de Bordeaux a ricané de soulagement derrière son verre de Monaco. Buvant mon café, je fixe l'écran TV. Série d'actions de part et d'autres qui s'annihilent. Ca va, J'ai compris. Ce match sent le nul pourri. Posant ma monnaie, je salue Mounir qui hoche une tête chagrine. Lui aussi a deviné le dénouement de la partie.

     

    Gérald Puzzle


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