• A 80 kilomètres de la rencontre Le Havre-Nantes

    Les deux keufs sortent du fourgon, genre les experts de Manhattan, sauf qu'on est à Rouen, qu'y a pas eu de meurtre et qu'y z'ont des gueules de navets pourris - merde ! - je range mon bike contre un poteau. Le plus moche et plus grand s'approche de moi, les deux pouces dans le ben, plus pécore tu meurs ! Hey z'avez pas vu que z'avez grillé le feu rouge ? - Remerde, pris en flag' ! - il enchaîne - papier siou plait ! - J'fouille dans mes poches en sachant très bien que je le fais pour rien, je gagne du temps et puis je les emmerde, ces cons - je leur montrerais bien mon cul puis, profitant du fion surprise, sauterais sur mon bike puis prendrais la poudre d'escampette mais mes chances de les semer sont faibles - la veille, je me suis tapé 115 bornes, j'ai les cuisses dures comme popol en érection, j'viens de bouffer des frites ketchup mayonnaise et je ne suis pas suffisamment orgueilleux pour croire qu'à coups de pédale je peux aller plus vite qu'une camionnette. A moins que les types soient bourrés, mais vu leurs gueules, non - z'ont ingurgité que de la Contrex et ça les rend d'autant plus hargneux, flic a jeun, flic malsain. « Alors ces papiers ? Y viennent ? » fait le deuxième, un vieux, qu'a de la bouteille et qui flaire que je les ai pas. Merde, dire que j'étais si près du but. Me restait plus que 80 bornes et des brouettes à faire pour rejoindre le Havre - Je m'appelle Steve Ricardo - je parcours la France en bike, en long en large et en travers. Je suis mordu de foot. En ce moment je suis plus les matchs en dessous de la ligue première - Les places sont devenues chères et un type comme moi peut pas dépenser 40 euros pour voir un match cul serré qui se termine par un nul de porcho. Au prix où est le baril d'essence et la baguette actuellement, faudrait être Crésus ou démoulé de la cervelle. Bref, je flairais le bon match de ligue 2 en Normandie : Le Havre vs Nantes. Rencontre qui promettait entre deux anciens de ligue 1. Partant de Picardie, j'avais rempli mon sac de figues séchées et de carambars dépiautés (les blagues carambar me dépriment) - remplie une gourde d'eau, l'autre de bière et étais parti au petit matin dans un brouillard de suceur de sang. En tout 200 bornes à parcourir. Mon duvet et une motivation du tonnerre ! Rien ne pouvait m'arrêter, enfin je croyais !

    - Bon t'as pas tes papiers, en fait. Quand un flic te tutoie, t'es plus que dans la merde. Il a monté d'un cran dans son mépris de ta petite personne. Au supérieur, il te frappe. Je réponds rien, la main fouillant dans ma poche à carambars. C'est fou ce que Rouen a un beau sol. Les plaques d'égout et les caniveaux sont sublimes. Si, si, je déconne pas.

    « Eh viens voir, Jean Yves ! » dit le moche en train d'inspecter mon vélo.

    L'autre s'approche, le sourire aux lèvres à l'idée que son pote a trouvé quelque chose d'illicite sur mon engin.

    « Y'a un autographe de Jérôme Rothen sur le cadre ! »

    Les deux keufs me regardent. J'arrête de fouiller dans ma poche (ma main est toute collante). Si c'est des footeux, voire des fans du blondinet, je tiens ma putain de chance. Au moment où j'ouvre la bouche pour leur expliquer mon projet, les deux s'esclaffent.

    - Hey, fait l'autre, trop fort, y'a même l'autographe de Djibril Cissé ! »

    - Il a été quand même international, je signale modestement.

    - Dans la coiffure ? ironise le vieux. Et les voilà repartis dans un fou rire de mauvais goût.

    Je lève les yeux au ciel. Pourvu que ces enfoirés ne voient pas l'autographe de Patrice Loko sous le guidon.

    Steve Ricardo


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